Vous connaissez Angélique du Coudray ? Première grande figure de sage-femme enseignante, cible d’un mépris de classe et de genre à la hauteur de sa compétence et de sa valeur, elle forma près de 5000 sagefemmes en une trentaine d’années de carrière au 18e siècle. Pionnière dans la mise au point d’une formation diplômante mêlant théorie et pratique, elle œuvra pour professionnaliser le métier de sage-femme, une pratique de soin séculaire encore trop peu reconnue (entendre "correctement rémunérée").
Si la confiance demeure le critère principal du choix des accompagnant·es lors d’un accouchement dans la France des années 1750, l’idée qu’il faut ajouter un savoir et une pratique progresse. L’Hôtel-Dieu de Paris héberge la seule école de sagefemmes européenne depuis le 14e siècle mais c’est surtout de manière interpersonnelle que se transmettent "les arts de l’accouchement". Bien sûr, les sagefemmes sont de la partie mais traditionnellement, ce sont les "matrones", des femmes de la famille ou des voisines, qui accompagnement les accouchements. Dans les grandes villes, il y a aussi de plus en plus de chirurgiens qui se réservent les interventions actives sur le corps des femmes à l’aide d’instruments (voir Madeleine Pelletier).
Angélique du Coudray naît en 1710 en Auvergne. A 27 ans, elle monte à Paris se former auprès d’une sage-femme jurée, c’est-à-dire enregistrée au Châtelet de Paris. Après une formation de 2 ans, Angélique devient à son tour sage-femme jurée.
Pendant une quinzaine d’années, elle exerce à Paris pour une clientèle assez aisée issue de la bourgeoisie parisienne voire de la noblesse. La profession d’accoucheuse peut être une profession honorable. Si l’on est reconnue et que l’on a accès à une clientèle fortunée, on peut vivre de ce métier.
Angélique fait de son savoir le support d’une véritable carrière et connaît un certain prestige social à partir de 1750. Elle obtient des soutiens majeurs (notamment celui de Necker) et un brevet royal qui lui permet d’exercer dans n’importe quel point du royaume.
Sa réputation la précède et elle est contactée en 1755 par le seigneur de Thiers en Auvergne pour devenir sage-femme dans sa seigneurie. Elle prend rapidement conscience de la grande ignorance des matrones rurales en matière d’anatomie. C’est là que commence sa carrière d’enseignante.
Angélique entreprend d'abord de les former de manière traditionnelle mais c'est un échec. Elle comprend qu’elle va devoir leur montrer ce qu’il faut faire et surtout ce qu’il ne faut pas faire. Elle invente alors un mannequin en tissu (un tronc de femme de la taille au milieu des cuisses), trois petites poupées (un fœtus à terme et deux jumeaux à 7 mois de grossesse) et un faux placenta pour s'en servir comme supports de ses cours. Elle s'adapte aux niveaux de ses élèves, qu’elles sachent lire pour pouvoir se référer aux planches de son Abrégé des arts de l’accouchement édité en 1759, ou qu’elles apprennent par la pratique sur le mannequin.
Au-delà de la transmission théorique de connaissances, Angélique du Coudray forme ses élèves par la pratique dans "les conditions du réel" : elles ne voient pas ce qui se passe dans le ventre en tissu du mannequin et doivent tout identifier au toucher. Il y a une rupture sociale : la formation d'Angélique du Coudray est le premier exemple de vulgarisation pédagogique.
Les élites royales constituées d’hommes sont convaincues de la nécessité de former des sagefemmes et reconnaissent à Angélique une parfaite compétence dans son domaine mais le mépris de classe et de genre est considérable. Ils lui reprochent sa vanité, sont arrogance et la qualifient de "ridicule"... Elle a de quoi les contrarier : elle veut être payée pour exercer son métier !
Angélique du Coudray ne cède pas sur la reconnaissance qu’elle mérite. Elle demande à être correctement logée, nourrie et éclairée ; à pouvoir s’installer une quinzaine de jours avant de commencer ses cours et avoir quinze jours de repos après ; à avoir une voiture conduite par quatre chevaux pour déplacer tout son matériel. Elle demande également à ce qu’on lui achète un certain nombre d’exemplaires de ses manuels ainsi qu’un de ses mannequins pour les mettre à disposition des élèves.
Angélique du Coudray obtient que chacun de ses cours aboutisse à la délivrance d’un certificat. L’exclusivité d’exercice ne sera acquise qu’au début du 19e siècle mais derrière cette logique de formation diplômante, on voit le corps professionnel des sagefemmes se constituer.
Angélique du Coudray forme près de 5 000 sagefemmes en une trentaine d'années d'itinérance dans les différentes provinces françaises.
En 1783, elle se retire à Bordeaux auprès de sa nièce, Marguerite Coutanceau qui sera l’une des seules sagefemmes à avoir le titre de "professeur d’accouchement" au 19e siècle et fera de l’examen de ses élèves une grande cérémonie en présence des élites locales.
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