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Marie-Claude Vaillant-Couturier

Vous connaissez Marie-Claude Vaillant-Couturier ? Photoreporter, elle fut la première à lancer l’alerte sur la réalité des camps de concentration dès 1933. Résistante communiste, elle fut déportée à Auschwitz-Birkenau puis Ravensbrück. Le "convoi des 230" partit de la gare de l’Est le 23 janvier 1943. Elles passèrent le portail du camp nazi 4 jours plus tard en chantant La Marseillaise. Elles ne furent que 49 à revenir. Marie-Claude portait le numéro 31685. A la libération du camp par l'Armée Rouge, elle resta pour porter secours aux dernier·es malades jusqu'à leur évacuation avec Adélaïde Hautval.


Revenue vivante et debout de l’enfer, elle fut la seule femme à témoigner au procès de Nuremberg en 1946. Elle fut aussi une des rares femmes députée entre 1945 et 1973 et fut vice-présidente de l’Assemblée Nationale. Une vie d’engagement militant et humaniste.


Sur les quelques plaques qui portent son nom, elle est associée à son premier mari, Paul, dont elle a gardé le nom.



Paris, 1932. Marie-Claude Vogel vient d’apprendre la nouvelle : elle accompagnera l’équipe de Vu, le journal fondé par son père, Lucien Vogel, pour couvrir l’élection présidentielle en Allemagne. Maîtrisant parfaitement la langue allemande, elle servira d’interprète.


De Paris, ils ont fixé des entretiens avec les chefs des différents partis candidats. Tous, sauf un : Adolf Hitler, le chef du NSDAP, le plus dangereux rival du parti communiste allemand, refuse. Avec Philippe Soupault et son père, elle assiste à l’un de ses derniers grands meetings avant les élections, au Palais des sports de Berlin. Quand il surgit derrière son pupitre, la transe se propage comme un virus particulièrement contagieux. Jamais elle n’a vu une telle ferveur collective.


Elle publie sa première photo dans Vu en 1933, le 8 mars 1933. Elle la signe Mara Luca.

Un mois après l’incendie du Reichstag, une équipe de Vu est de nouveau envoyée en Allemagne pour montrer la situation du pays aux yeux du monde. Marie-Claude se porte volontaire. Cette fois, ce sera sous couvert d’anonymat. Cette fois, ce sera en tant que reporter.


A Berlin, la situation est dramatique. Elle a du mal à reconnaître la ville qu’elle a connue adolescente. Les murs et les vitrines sont couverts de croix gammées et de graffitis antisémites. Dans les rues, elle assiste à des scènes de violence et d’humiliation. Elle ne sort pas son appareil photo, c’est trop risqué. On parle d’un camp où sont envoyés, affamés, torturés, parfois exécutés, communistes, intellectuels et hommes juifs. On parle d’un camp de concentration à Dachau, un village bavarois typique à dix kilomètres de Munich. Marie-Claude veut en avoir le cœur net. Il faut savoir si c’est vrai. Pour témoigner.


Un ancien camarade des Beaux-Arts accepte de la conduire à Dachau. C’est la Friedenstraße, la rue de la Paix, qui conduit au camp. Le propriétaire d’un petit café leur explique que les convois de prisonniers arrivent plusieurs fois par semaine, la nuit en général. Le fil de fer derrière le mur est chargé à 400 volts : impossible de s’échapper de cette ancienne poudrière. Avec son adorable sourire et ses yeux bleus, Marie-Claude demande aux soldats de poser devant l’entrée du camp. Ils s’exécutent en bombant le torse. Elle prend une série de clichés, les remercie et repart.


Une fois suffisamment loin des sentinelles, elle monte sur le capot de la voiture, son appareil photo en main. Derrière la grille du camp, elle aperçoit des silhouettes grises qui avancent en trainant les pieds. Un peu plus loin, des hommes de tout âge font des pompes sous les cris des SS. Pas le temps d’ajuster la focale, tant pis si les photos sont floues.


Le 3 mai 1933, "Vu explore incognito le IIIe Reich" : des photos d’un camp de concentration nazi non agréées par le régime sont publiées pour la première fois. C’est son premier reportage. Elle a 20 ans.


Elle fait désormais partie de la troupe des photo-reporters de Paris. Comme la majorité de ses collègues, Henri Cartier-Bresson, Germaine Krull, Willy Ronis, Eli Lotar, elle est membre de l’Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires, fondée en mars 1932 pour se mobiliser contre le fascisme. Comme son ami Robert Capa, elle adopte un nom de guerre et signe ses reportages Marivo. Elle signera un des portraits emblématiques du plus grand photographe de guerre du XXe siècle.


Fille de la bourgeoisie, Marie-Claude n’en fait qu’à sa tête. Dans le plus grand secret, elle épouse Paul Vaillant-Couturier, héraut du Front Populaire, fondateur de l’AEAR, divorcé, bien plus vieux qu’elle. Elle a 25 ans quand il meurt brutalement le 12 octobre 1937 de l’ypérite inhalée pendant quatre ans dans les tranchées. Après les funérailles nationales de son époux, c’est Maurice Thorez en personne qui lui propose un poste à L’Humanité. Elle travaille aussi pour Regards.


Avec Capa, Taro, Chim, Cartier-Bresson, elle sillonne la France et l’Europe pour photographier la misère des ouvriers, le quotidien des mères célibataires, les conditions de vie dans les asiles et les orphelinats, mais aussi les meetings d’extrême droite, la jeune République espagnole… En juillet 1938, en reportage en Espagne en pleine guerre civile, Marie-Claude croise les Brigades internationales et le bataillon "Paul Vaillant-Couturier".


Avant que la guerre éclate, elle rencontre Roger Ginsburger, plus connu sous son nom de résistant, Pierre Villon, qui fait partie de l’AEAR également. Elle adopte son fils, Thomas, un ami de ma famille.


Quand le parti communiste français est déclaré illégal, Marie-Claude contribue clandestinement au journal L’Humanité et tracte avec ses camarades des Jeunes Filles de France, Danielle Casanova, Maï Politzer et Hélène Solomon.


Arrêtées par la police française en 1942, elles sont remises aux autorités allemandes et enfermées à la prison de la Santé. Elles sont parties de la gare de l’Est le 23 janvier 1943 dans un train de marchandises. En mai 1943, on apprend par la BBC leur déportation dans un convoi de 230 Françaises. C’est un évadé polonais du camp qui a transmis l’information. Le 24 août, un article du New York Herald Tribune souligne le courage de ces Françaises qui ont passé les portes d’Auschwitz en chantant La Marseillaise.


Louis Aragon publie clandestinement aux Editions de Minuit un long poème à la gloire de ces déportées et rend un hommage appuyé à Marie-Claude :

"C’est vous que je salue en cette heure la pire Marie-Claude en disant Je vous salue Marie"

A la mort de son amie Danielle Casanova, Marie-Claude se retrouve à la tête de la résistance française des femmes d’Auschwitz. En août 1944, lors de leur transfert à Ravensbrück, elles ne sont plus que 54 du "convoi des 230".

Sa codétenue à Ravensbrück, Marie-José Chombart de Lauwe parle d’elle des années plus tard :


"Marie-Claude faisait l’impossible pour sauver ses camarades (…). Ce qui la portait, c’est cette confiance dans le destin de l’humanité et la volonté d’y prendre part".

Marie-Claude commence à tenir un journal, un carnet de feuilles de papier très fines offert par ses camarades d’Auschwitz. Elle y note tout. Pour témoigner.


Son courage, sa détermination et la douceur de son sourire sont gravés dans ma mémoire.


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