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Mary Nyanjiru

Vous connaissez Mary Nyanjiru ? Son nom résonne encore comme un symbole de la lutte : Mary Nyanjiru, celle qui n’a pas cédé. Ni devant le pouvoir des hommes, ni devant celui des colons. La chanson Kanyegenuri, qui commémore ses actions et son courage, sera l'hymne de la révolte des Mau Mau dans les années 1950.


Kenya, 1922. Des centaines de milliers de combattants indigènes sont morts pour permettre à leurs maîtres français et britanniques de vaincre l’Allemagne mais les maîtres n’ont aucune intention de récompenser ce sacrifice en accordant plus de libertés aux indigènes.


Dans les hauts plateaux du Kenya, les autorités coloniales britanniques distribuent aux anciens combattants blancs des terres en mode tombola, par tirage au sort. Du jour au lendemain, les paysan·nes Kikuyus installé·es là depuis des siècles doivent céder leurs terres à un chauffeur de bus de Manchester ou à un savetier de Liverpool. Plus encore, i·elles doivent se mettre à leur service : travail forcé pour un salaire de misère.


Dans les plantations de café, chaque nuit, les contre-maîtres indigènes choisissent leur proie : viol systématique. Les colons britanniques ferment les yeux, du moment que ça ne nuit pas au rendement. Les femmes qui tombent enceintes sont renvoyées dans leurs familles qui souvent les rejettent.


C’est pour fuir ce destin tragique que Mary Nyanjiru prend un jour la route pour Nairobi. En sortant de la gare, Mary traverse la ville blanche dans laquelle les indigènes passent mais n’habitent pas. Elle y croise les boys, les tireurs de pousse-pousse, les jardiniers...


De l’autre côté de la rivière, il y a Pangani, le quartier réservé aux Noir·es, où atterrissent celles et ceux qui, ayant perdu leur terre et leur mode de vie, cherchent une nouvelle existence.


La plupart de femmes de Pangani gagnent leur vie en vendant leur corps et en brassant de la bière. Certains les méprisent mais elles s’en moquent. Après tout, elles sont plus riches que les hommes qui s’achètent leurs faveurs. Ce sont des femmes fortes, debout, qui accueillent Mary comme l’une des leurs. Ces femmes inventent ici une nouvelle société dans laquelle les hommes n’ont pas le contrôle.


Avec elles, Mary s’indigne quand les Anglais leur interdisent de brasser leur bière traditionnelle. Avec elles, elle s’enthousiasme pour un nouveau venu, Harry Thuku, un anticolonialiste chrétien qui a fait de la lutte contre le travail forcé des femmes son cheval de bataille. Mary y croit, Mary espère. Harry Thuku porte un costume, il parle anglais, il n’a pas peur des colons. Les choses vont enfin changer pour les femmes Kikuyus.


Le 14 mars 1922, les autorités de la colonie arrêtent Harry Thuku, qualifié de "dangereux agitateur indigène". Les femmes de Pangani rejoignent la manifestation devant le commissariat central. Quand les organisateurs décident qu’il est temps de se disperser, Harry Thuku est toujours en prison. Pour Mary, pas question de partir sans lui. Elle se dresse et d’un geste signifie aux hommes qu’ils ne sont plus dignes d’exercer leur pouvoir. Elle soulève sa robe et expose sa nudité avant de les haranguer :


"Prenez ma robe et donnez-moi votre pantalon ! Vous les hommes, vous êtes des lâches. Qu’est-ce que vous attendez ? Notre chef est dans cette prison : allons le chercher !"

Les femmes de Pangani poussent un cri à l’unisson et se lancent à l’assaut du commissariat. Des milliers d’hommes les suivent aussitôt. Les soldats tirent sur la foule. Touchée, Mary meurt sur le coup. Des dizaines de manifestant·es tombent à ses côtés.


Harry Thuku passera 9 ans en prison et les Britanniques croiront avoir brisé dans l’œuf la résistance. Mais pendant des décennies, le soir à la veillée, les Kikuyus entretiendront le souvenir de Mary Nyanjiru, celle qui n’a pas cédé. Et quand la prochaine génération de rebelles se lèvera, c’est son nom qu’ils invoqueront en partant au combat...


Texte inspiré du documentaire Décolonisations de Karim Miské, Marc Ball et Pierre Singaravélou.

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