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Mélinée Manouchian

Vous connaissez Mélinée Manouchian ? On connaît son nom, celui de son mari, Missak. Panthéonisée par alliance le 21 février 2024, Mélinée, orpheline survivante du génocide arménien, exilée, communiste, fut une Résistante de la première heure et agente de liaison pour les FTP-MOI.



Mélinée Soukémian naît en 1913 à Constantinople (actuelle Istanbul). Ses parents sont massacrés lors du génocide arménien. Elle a 3 ans. Elle et sa sœur survivent et grandissent dans un orphelinat en Grèce. A 13 ans, elle arrive à Marseille, où son nom de naissance est changé pour devenir Assadourian. Elle est scolarisée dans un pensionnat pour jeunes filles arméniennes. Elle obtient son certificat d’études, réussit des études de secrétaire comptable sténodactylographe et part travailler à Paris.


Elle participe à la vie de la communauté arménienne et s’engage au Parti communiste. Elle est déléguée du comité de Belleville. Elle rencontre Missak Manouchian et l’épouse en 1936. Elle milite pour les travailleurs immigrés lors des grèves du Front populaire et crée avec Missak l’Union populaire franco-arménienne engagée notamment pour la défense de la République espagnole. Le couple récolte un million de francs pour le Comité d’aide aux Républicains espagnols.


La guerre arrive en France.


« Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide arménien. »

Quand le Parti communiste devient illégal en septembre 1939, Missak est arrêté une première fois. Elle continue à militer, distribue des tracts et des journaux clandestins. Elle fait parvenir des colis aux Arméniens internés dans des camps en Allemagne. Elle est enceinte et décide d’avorter, illégalement aussi. Missak voulait le garder, elle juge que ce n’est pas compatible avec son engagement militant – et plus globalement probablement, les circonstances.


Missak la rejoint à Paris au début 1941 mais est à nouveau arrêté en juin et envoyé au camp de Royallieu, près de Compiègne. Mélinée tente de lui porter des colis. Pour l’apercevoir, elle prend le risque d’essuyer des tirs de sentinelles. Il est finalement libéré quelques semaines plus tard.


Elle trouve un travail dans une usine et rejoint les MOI (Main-d’œuvre immigrée) créée par la Résistance communiste. Elle fait passer des messages, des armes. Les SS et la police française ne prenaient pas les femmes au sérieux, elle les observe discrètement, repère les positions, récupère des informations, rédige des rapports.


En 1943, le couple intègre les groupes de combat des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée). Mélinée est agente de liaison, malgré la volonté de Missak de la tenir à l’écart pour la protéger, écrira-t-elle ensuite. Lorsque des actions de lutte armée sont menées, elle est chargée de repérer les cibles et rédiger des rapports. Elle écrit aussi pour la presse clandestine.


« Un jour de bonne heure il est parti, il n’est plus revenu. »

Missak est arrêté par la police française en novembre 1943. Mélinée, elle, n’avait pas été repérée par les Brigades spéciales des Renseignements généraux, qui filaient depuis plusieurs mois les FTP-MOI.


Quand la police française vient perquisitionner leur appartement, elle n’est pas là. Elle se cache. Elle reste plusieurs mois chez les Aznavourian, les parents de Charles qui fera une carrière de chanteur. Pour échapper à la répression et ne pas mettre en danger les ami·es qui l’hébergent, elle change souvent de cachette.


Brisée, dans l’attente, elle continue d’écrire pour la presse clandestine, installe un réseau à l'Ouest, traduit des tracts pour les soldats enrôlés de force dans l’armée allemande. Elle n’a des nouvelles de son mari que par Radio-Paris, contrôlée par la Propaganda-Abteilung Frankreich, qui dénigre violemment l’homme qu’elle aime et celleux arrêté·es avec lui. Une affiche rouge les désigne comme les membres de « l’armée du crime ».

Mélinée apprend l'exécution de Missak plusieurs semaines après, par la voix d’un ami. Pour elle, le monde s’effondre. Elle a 30 ans.


Privé de « [son] ami, [son] camarade, [son] mari », elle redevient une « petite orpheline » qui fut, jusqu’au dernier moment, « bien aimée »… Dans la lettre qu’il lui écrit juste avant son exécution, il lui demande de se marier, d’avoir un enfant… Elle ne le fera jamais.


A la Libération, elle fait publier les poèmes de Missak et rédige sa biographie. Elle confronte aussi celui qu'elle accuse d'avoir trahi. Elle continue de mener sa vie avec son ombre, sans lui, portant sa mémoire, continuant les luttes menées ensemble.


Naturalisée française, elle se porte volontaire pour un programme soviétique visant à repeupler l’Arménie en 1947. Très déçue du modèle soviétique, elle parvient à rentrer en France en 1962. Elle obtient le statut de veuve de guerre et participe à la fondation de l’Amicale des anciens résistants français d’origine arménienne.


En 1983, elle témoigne dans « Des terroristes à la retraite », un documentaire polémique où elle défend l’idée que son mari, conscient des risques d’arrestation, aurait été sacrifié par la direction du Parti communiste. Dans l’après-guerre s’écrit ainsi la confrontation d’une mémoire personnelle douloureuse et les nécessités imposées par la lutte armée.


Mélinée Manouchian meurt en 1989. Elle est enterrée au cimetière d’Ivry. En février 2024, elle entre au Panthéon avec son mari, Missak. Une école marseillaise devrait porter leurs deux noms d’ici peu.


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