Rose Valland
- Juliette Raynaud

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Vous connaissez Rose Valland ? Conservatrice du Jeu de Paume sous l’Occupation, elle sauva des centaines d’œuvres d’art de la spoliation nazie. Pendant quatre ans, au péril de sa vie, elle espionne les hauts dignitaires venus piller les œuvres d’art des familles juives et des opposants au régime. Ses enquêtes minutieuses après la guerre permirent la restitution de dizaines de milliers d’œuvres aux musées nationaux et à leurs propriétaires légitimes.

Formée à l’Ecole du Louvre puis à l’Institut d’Art et d’Archéologie et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Rose Valland entre au Jeu de Paume en tant que secrétaire bénévole en février 1932. Avec le conservateur du musée André Dezarrois, elle organise une série d’expositions novatrices entre décembre 1932 et août 1939. Il lui confie régulièrement la responsabilité du musée. De ces années d’intense bénévolat naîtra un attachement presque affectif à ce nouveau Jeu de Paume qu’elle a contribué à faire rayonner avant le déclenchement des hostilités.
Le 24 août 1939, le musée ferme ses portes au public. Rose Valland supervise l’évacuation des œuvres. Les nuits de bombardement, elle dort parfois au musée. Restée en poste à Paris aussi longtemps que possible, elle se résigne à quitter la capitale le 13 juin 1940 avec le dernier convoi réservé au personnel des Musées nationaux. Elle rejoint le château de Valençay, d’où elle entend l’appel du général de Gaulle, avant de revenir à Paris dès les premiers jours de juillet.
Hitler proclame que les biens des collections nationales et les biens des collections privées doivent être sous contrôle. Les collections nationales sont confisquées. L’ambassade d’Allemagne prépare le terrain aux premières spoliations, avant d’être devancée par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), qui cible tout particulièrement les œuvres d’art issues des collections privées de familles juives. L’afflux massif de biens culturels spoliés conduit l’ERR à réquisitionner le musée du Jeu de Paume le 1er novembre 1940. Le Jeu de Paume devient la plaque tournante d’un vaste système de spoliation des œuvres d’art.
En accord avec Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux, Rose Valland se maintient en poste pour surveiller les activités de l’organisation nazie. Au risque de sa vie, pendant toute l’Occupation, Rose Valland espionne les activités des nazis et liste les œuvres spoliées aux familles juives qui transitent par son musée avant de partir pour l’Allemagne. Dans un musée devenu « gare de triage », dont l’accès est réservé aux seuls membres de l’ERR, la conservatrice légitime sa présence par la nécessité de superviser les aspects logistiques du bâtiment (chauffage, nettoyage, manutention).
En tant qu’unique responsable scientifique française habilitée à entrer au Jeu de Paume, elle devient le témoin privilégié des spoliations nazies. Le baron Kurt von Behr, responsable du service Rosenberg à Paris, et l’homme de paille de Göring, Bruno Lohse, voient en elle une menace. Régulièrement soupçonnée, suivie, fouillée, menacée, voire chassée du musée, Rose Valland parvient néanmoins à espionner les activités de l’ERR pendant les quatre années de guerre. Dans le sous-sol du musée, elle met aussi à l’abri 524 peintures et 92 sculptures qui ne seront pas découvertes par les nazis.
« Tout ce que je voyais et entendais finissait par constituer, dans le fichier de ma mémoire et de mes notes, une importante réserve, d’après laquelle je m’efforçais de connaître autant que possible les opérations et les projets de l’ERR. »
Elle peut compter sur la complicité de l’équipe technique du musée, en particulier le personnel de gardiennage et d’emballage. Dès mars 1941, les mouvements d’œuvres d’art s’intensifient sur la terrasse des Tuileries. Tout juste titularisée et désormais rémunérée, Rose Valland collecte une importante documentation, manuscrite et photographique, au sujet des peintures, meubles et objets d’art qu’elle voit transiter par le musée. Quand elle parvient à les identifier, elle renseigne également la provenance des collections et leurs destinations, ainsi que l’identité des hauts dignitaires nazis et des marchands d’art complices qui viennent enrichir leur collection personnelle avec les œuvres spoliées. Elle consigne ses observations sur des notes qu’elle transmet tous les deux ou trois jours, par l’intermédiaire de Jacqueline Bouchot-Saupique, à Jacques Jaujard, membre du réseau de résistance Samson.
Le 2 août 1944, sur ordre de Göring, cinq wagons de train sont affrétés pour transporter 148 caisses d’œuvres d’art moderne entreposées au Jeu de Paume. Son acheminement vers l’Allemagne est stoppé grâce aux signalements de Rose Valland et l’action de cheminots résistants. Le train est mis à l’arrêt jusqu’au 28 août, les Américains le récupèrent à Aulnay et le confisquent. On découvre alors que ce « train musée » contient 967 peintures signées Cézanne, Gauguin, Renoir, Modigliani, Degas et 64 peintures de Picasso.
Paris est libéré le 25 août 1944.
« Je crus de mon devoir d’utiliser des connaissances si spéciales et de continuer mon action de guerre. »
Rose Valland est nommée secrétaire générale de la Commission de récupération artistique créée en novembre 1944 avec l’objectif de retrouver les biens culturels pris en France pendant la guerre. Capitaine de la 1ère armée française, elle part en Allemagne dès le 1er mai 1945 pour récupérer les collections disparues et défendre les intérêts français. En septembre 1945, elle devient la représentante française des restitutions auprès de la 7e armée américaine et obtient le grade de lieutenant-colonel, statut qui facilite ses déplacements en zone d’occupation américaine.
De 1945 à 1953, plus de 50 000 biens culturels sont rapatriés grâce aux enquêtes minutieuses et parfois illégales que mène Rose Valland dans les territoires de l’ancien IIIe Reich.
En 1955, Rose Valland désormais conservatrice des Musées nationaux prend la tête du Service de protection des œuvres d’art (SPOA) qui a pour objectif de continuer à traiter les demandes des familles dépossédées. Jusqu’à sa mort en 1980, elle n’a de cesse de travailler à la restitution des œuvres spoliées par les nazis.
En 1964, la superproduction hollywoodienne « Le train » avec Burt Lancaster relate un des événements qu’elle raconte dans ses mémoires Le Front de l’art, Défense des collections françaises (1939-1945), publiés en 1961, un ouvrage de référence pour l’histoire des spoliations perpétrées par l’ERR.




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