Vous connaissez André Léo ? C’est sous ce pseudonyme que Victoire Léodile Béra publia de nombreux romans, contes et essais. Journaliste et militante socialiste progressiste, elle participa activement à la Commune. Féministe engagée avant que le mot n’existe, son combat marqua considérablement l’histoire de la lutte pour l’égalité et l’émancipation des femmes.

Victoire Léodile Béra – plus "connue" sous le nom d’André Léo – naît en 1824 à Lusignan, dans la Vienne. Elle grandit dans une famille bourgeoise et cultivée. Son grand-père est le fondateur de la Société des amis de la Constitution (1791) et son père, ancien officier de marine, est notaire puis juge de paix.
Refusant l’idée du mariage, elle change d’avis après sa rencontre avec Grégoire Champseix, journaliste militant exilé en Suisse après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851. Cette année-là, elle le rejoint à Lausanne, l’épouse et publie son premier roman, Une vieille fille.
En 1859, après l’amnistie, ils s’installent à Paris avec leurs jumeaux, André et Léo. Elle prend le pseudonyme André Léo pour toutes ses activités.
Très vite, elle publie deux nouveaux romans, Un divorce, puis Un mariage scandaleux, qu’elle doit éditer à ses frais mais qui sont très bien accueillis par la critique et le public. A la mort de son époux en 1863, elle vit de sa plume et transforme son appartement en une sorte de salon où se retrouvent des personnalités politiques et littéraires.
Militante socialiste progressiste, elle devient membre de l’Association Internationale des Travailleurs, connue sous le nom de Première Internationale dès le début des années 1860. Elle commence aussi à publier des articles sur le droit d’association (qu’on n’appelle pas encore syndicalisme) ainsi que des reportages sur la condition des femmes et l’égalité des sexes dans le travail. Elle milite pour la création d’associations (d’)ouvrières et, alors que le féminisme n’existe pas encore, elle crée son propre journal qu’elle intitule sobrement "Le Droit des femmes".
En 1866, elle fonde l'Association pour l'amélioration de l'enseignement des femmes, et 3 ans plus tard, la Société de revendication des droits de la femme, une des premières associations féministes. La même année, elle publie son grand texte théorique : La Femme et les mœurs, en réponse aux thèses misogynes de Joseph Proudhon.
Début 1871, elle fonde le journal "La République des Travailleurs" et co-fonde la revue "La Sociale" avec Anna Jaclard.
"Nous avons la République de la liberté à défendre, nous avons la République de l’égalité à fonder." (février 1871)
Dès sa proclamation, le 18 mars 1871, elle participe activement à la Commune. Elle milite en faveur d'une démocratie non autoritaire et défend l’égalité et la liberté d'expression. Toujours sous le pseudonyme d’André Léo, elle publie de nombreux éditoriaux et articles dans différents journaux dont "Le Cri du peuple" (le journal de Jules Vallès).
Nouer le dialogue entre le prolétariat urbain et les travailleurs ruraux pour déjouer le discours anti-parisien de Thiers est l’une des thématiques dominantes des textes d’André Léo durant l’insurrection. On la retrouve notamment dans son "Appel aux travailleurs des campagnes", édité à 100 000 exemplaires que la Commune tente de diffuser par ballon en province.
"Frère, on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. [...] Ce que Paris veut, en fin de compte, c’est la terre au paysan, l’outil à l’ouvrier, le travail pour tous."
Membre du Comité des citoyennes du 17e arrondissement, elle préside à la Commission féminine de l’enseignement, organise une Union des femmes pour la défense de Paris, qui réclame leur droit à un salaire égal, l’autogestion au travail, la reconnaissance des unions libres et la séparation de l’Eglise et de l’Etat dans l’enseignement et les hôpitaux.
La mise à l’écart des femmes, ou leur insuffisante intégration dans la lutte insurrectionnelle, est pour André Léo l’une des raisons principales de son échec inexorable.
"Croit-on pouvoir faire la Révolution sans les femmes ? Voilà 80 ans qu’on essaie et qu’on n’en vient pas à bout." (mai 1871)
Elle échappe à la répression de la Semaine sanglante en se cachant chez son amie Lucienne Prins et s'exile en Suisse. Elle contracte avec le syndicaliste Benoît Malon, un des dirigeants de l’Internationale, un mariage républicain - qui fait scandale. Suite à son discours au Congrès de la Ligue de la Paix et de la liberté, elle publie La Guerre sociale, se fâche avec Bakounine et accuse Karl Marx d’autoritarisme.
Elle voyage beaucoup, notamment en Italie, poursuit ses activités de journaliste et continue à écrire et à militer. Dans sa dernière œuvre, Coupons le câble, paru en 1899, elle plaide pour la séparation de l’Église et de l’État, 6 ans avant la loi de 1905.
Elle meurt l’année suivante et lègue, par testament, une rente "en faveur de la première commune de France qui voudra essayer le système collectiviste par l’achat d’un terrain communal travaillé en commun avec le partage des fruits". Romancière, essayiste, journaliste, militante, elle consacre sa vie à un combat : le changement social. Beaucoup de ses idées sont toujours d’actualité.
Depuis 2007, une rue de Poitiers porte son nom.
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