Vous connaissez Elizabeth Magie ? Quand elle inventa le principe du Monopoly en 1904, c’était pour lutter contre les inégalités et sensibiliser aux dangers des monopoles. Le jeu visait à gagner ensemble en partageant les richesses grâce à la création de services publics. Quand Charles Darrow lui vola l’idée 30 ans plus tard, il en fit le véhicule ludique de l’idéologie capitaliste… et devint millionnaire.
L’histoire officielle du Monopoly c’est qu’au début des années 1930, en pleine crise économique, un chômeur invente le jeu et devient millionnaire. Cette histoire officielle a longtemps été imprimée sur les règles du jeu. Elle est belle cette histoire, elle renforce le mythe du "self-made man", du "quand on veut, on peut". Dommage qu’elle ne soit pas vraie.
Le jeu, en fait, existait déjà depuis longtemps, depuis 1904, et il avait été inventé par une femme, Elizabeth Magie.
Elizabeth “Lizzie” Magie est sténographe et rebelle (elle est née en 1866 et n’est pas mariée). Révoltée contre les inégalités, un jour, elle passe une annonce dans un journal pour se vendre aux enchères comme esclave pour dénoncer la condition des femmes dans la société américaine.
Elizabeth lit aussi Henry Georges, un économiste qui, dans son best-seller Progrès et pauvreté, publié en 1879, démontre que le capitalisme nuit à la société et développe la théorie d’une "taxe unique", une réforme fiscale pour remédier aux inégalités sociales et aux crises économiques.
A l’époque, le pétrole coule à flot et le capitalisme forge les fortunes des familles Rockefeller, Vanderbilt, Carnegie… Pour lutter contre la concentration des richesses et l’augmentation de la pauvreté qui va forcément avec (Elizabeth ne croit pas à la théorie du "ruissellement"), elle veut diffuser la pensée d’Henry George.
Elle imagine un moyen révolutionnaire : un jeu.
En 1904, 30 ans avant la première édition du Monopoly, Elizabeth Magie invente The Landlord’s Game (le jeu du propriétaire foncier). The Landlord's Game illustre de manière ludique la théorie économique d’Henry George.
Il y a deux manières d’y jouer : celle que nous connaissons, qui consiste à gagner seul·e en ruinant ses adversaires, et une manière qui consiste à gagner ensemble, en mettant en commun les richesses notamment grâce à la création de services publics.
Les joueurs mettent en commun l’argent qu’ils devraient payer au propriétaire dans un "Trésor public" et au fil du jeu, certaines cases payantes comme la case "électricité" ou "eau" deviennent gratuites.
Le jeu se développe sur la côte Est des Etats-Unis via le bouche-à-oreille et génère un vrai engouement.
Un soir, à Atlantic City, Charles Darrow y joue avec ses amis. L’histoire raconte qu’il ne sait pas jouer, qu’il perd tant qu’il peut. Il demande à ses amis de lui écrire les règles pour essayer de comprendre. Une fois rentré chez lui, il copie méthodiquement le plateau de jeu sauf une case : le Trésor Public. Il ne conserve que la première manière de jouer, celle qui vise à amasser de l’argent pour détruire les autres. Il appelle son jeu "Monopoly" (le monopole) et dépose un brevet. L'objectif est simple : s’accaparer la totalité des richesses.
Dès sa sortie en 1935, le jeu est un succès. Parker Brothers en édite jusqu’à 20 000 par semaine et, à un moment, émet plus de billets de banque Monopoly que la Réserve fédérale américaine de vrais dollars.
Charles Darrow devient millionnaire. Elizabeth Magie meurt en 1948. Elle a gagné 500 dollars avec son invention.
Voilà un concept de jeu tout à fait intéressant, et qui me parle d'autant plus que depuis longtemps, je considère qu'il faut abolir la propriété privée foncière tout en créant un véritable droit au logement, et mutualiser la gestion du foncier et de l'habitat (je n'entre pas dans les détails dans ce commentaire). Ce qui m'a valu dernièrement d'être traité de stalinien, bien que l'idée soit plutôt anarchiste.
Il faudrait remettre au goût du jour le jeu tel que l'a conçu Elizabeth Magie, pour mieux diffuser les idées de fraternité, solidarité.